OPINION

Talkin’ All That Jazz!

By 02/05/2016No Comments

Ça y est! Le Montreux Jazz et le Paléo ont dévoilé leurs programmes (payant). Comme chaque année, les deux mastodontes seront complets et certains billets atteindront des sommets à la revente. Et si le soleil est de la partie, on sera content que la pérennité financière du festival soit assurée.
En ce qui concerne le côté Rap…

Pour la 50ème édition, le festival se compose de 3 soirées: 2 sous le signe « Made in France » et une avec des rappeurs US. Les MCs sont franchement contemporains et les descriptifs sur le site du MJF ressemblent à une fiche produit d’un catalogue Jelmoli: Future est « incontournable avec trois projets classés N° 1 des ventes US en moins d’un an », le « futur baron du rap US » se nomme A$AP Ferg, l’album de Nekfeu a « très rapidement affiché des ventes record », les initiales PNL cache « LE groupe rap du moment », Georgio est la « nouvelle coqueluche du rap français », VALD fait figure de « trublion trash de 23 ans au succès grandissant » et « le buzz du moment » MHD comptabilise « des millions de vues sur Internet ». Bien que j’apprécie certains artistes, dire que je suis déçu relève de l’euphémisme.

C.R.E.A.M.

Un rapide coup d’oeil aux festivals alentours suffit pour remarquer qu’une belle palette de talents se trouve en Europe début juillet. Ceci offre aux programmateurs une manne dans laquelle tenter de glaner quelques concerts supplémentaires et par la même, la possibilité de faire du cash pour nos amis rappeurs.
En jouant sur la notoriété du festival, je suis sûr que certains mordraient à l’hameçon aussi vite qu’un piranha voyant un steak. Voilà 3 ans qu’Oddisee se balade dans les parages et il n’a jamais fait un détour par la Riviera vaudoise. A contrario, VALD, PNL, Georgio et Nekfeu ont tous foulés la Romandie au moins une fois, depuis le mois d’octobre.
Le Montreux Jazz a acquis une renommée mondiale grâce à une programmation pointue, des performances de haut vol, des jams spontanées et Claude Nobs. Aujourd’hui, la programmation rap s’articule autour d’artistes qui vendent, buzzent ou cartonnent sur les réseaux sociaux. Appâter le chaland n’est plus une option viable, il faut séduire des milliers de followers et leurs insuffler le désir de kiffer leurs icônes 2.0, à coups de marketing et de communication. Plus que des choix artistiques, ce sont des choix financiers et ils sont défendables si l’objectif est de maximiser son profit pour contenter des actionnaires.

Old School Versus New School

Ce parti pris reflète un fossé générationnel paradoxal, le Rap est une musique « pour les jeunes » qui existe depuis 40 ans. D’un côté, les puristes défendent la tradition du « real hip-hop », et de l’autre, des minots dopés à l’autotune prônent l’évolution. Peu de monde considère qu’une cohabitation est possible, que des courants musicaux opposés peuvent coexister. J’estime que chaque artiste peut trouver son public et vice versa. La musique – et toute forme d’art – est essentiellement une question de goût et de sensibilité. Prendre de l’âge peut rendre nostalgique d’une époque mais cela n’empêche pas d’être un mélomane avisé. Loin de correspondre au public cible, je suis heureux de ne pas « m’enjailler » sur les sons de MHD. Dois-je en déduire qu’à 35 ans, je ne devrais plus écouter de rap? Est-ce qu’avoir 20 ans interdit d’apprécier d’anciens jazzmen ou rockeurs?…
Si la musique est universelle, l’argent l’est encore plus et, niveau cash, mon pouvoir d’achat est supérieur à celui d’un apprenti plâtrier-peintre. Ce manque de risque artistique, c’est comme un ballon d’or pour Messi ou Ronaldo. Tu ne te trompes pas en les choisissant, sauf que tout le monde s’y attend, même si un autre joueur fait une saison de fou (Props à Xavi et Neuer).
À la mi-avril, la Case-à-Chocs a réussi un petit tour de force: programmer Token un jeudi soir, puis M.O.P et La Base & Tru Comers le vendredi. Le danger pris avec le natif de Salem était compensé le soir suivant. Un jeune qui n’a pas encore explosé, des légendes et des locaux talentueux avec une fan-base établie, tout y était, artistiquement et financièrement…

Legends never die

D’ailleurs, je suis surpris qu’aucune légende ne soit présente à Montreux. Pour une édition anniversaire où les autres styles musicaux ont droit à leurs mythes, il n’y a aucun cador rapologique à l’horizon. Personne connoté « âge d’or », « boom-bap » ou « underground » (notez les guillemets). Pourtant, la liste des artistes qui se sont produits à l’Auditorium Stravinksi ou au Miles Davis Hall/Montreux Jazz Lab est longue comme le bras: The Roots, Cypress Hill, Mos Def AKA Yasiin Bey, Q-Tip, De la Soul, le Wu, The Pharcyde, Doom, Masta Ace et j’en passe…
Cette année, il n’y a même pas un « Sean Price Tribute » de derrière les fagots ou un MC avec un live band. Rien. Que nenni. Je conçois que les cachets, les disponibilités et les contrats d’exclusivité n’arrangent pas les desiderata du festivalier lambda. Soit. En même temps, est-ce que le 50ème se prépare comme n’importe quelle édition? Est-ce que des pâtes au thon sont dignes d’un repas de fête?
Loin d’avoir la vérité absolue, je trouve qu’ignorer sciemment un courant musical, ses acteurs ou ses fans, est un sacré camouflet. Je n’imagine pas un Montreux Jazz où tous les groupes de jazz ne joueraient que du New Orleans, par exemple. Surtout qu’en se limitant volontairement, les programmateurs réduisent les chances de palper des billets supplémentaires.

Le business de la musique a bien changé en 20 ans. Quand mon moi-jeune-et-naïf pensait que la bonne musique se suffisait, mon moi-adulte sait que la communication fausse le jeu. La concurrence est rude et tous les acteurs cherchent les meilleurs moyens de tirer leur épingle du jeu.
Les rappeurs – et les artistes en général – soignent autant leurs images que leurs punchlines, s’émancipent des maisons de disques et sont à la tête de bataillons de followers sur les différents réseaux sociaux. Les festivals redoublent de stratégies pour rentabiliser un investissement toujours plus conséquent, tout en priant que les cieux éloignent la pluie au maximum. Les enjeux sont donc multiples. Il n’y a que l’envie du public qui soit constante: voir ses artistes fétiches pour un prix raisonnable. Cet été, j’aurais plaisir à écouter du rap autre part qu’au bord du lac Léman. Happy Birthday Montreux Jazz Festival!

DEMAIN, CE SERA LE TOUR DU PALEO FESTIVAL…

Leave a Reply